A nouveau en exil, Hollman Morris ne jette pas l'éponge :: Le Courrier :: Quotidien suisse indépendant
Paru le Vendredi 15 Mai 2009
PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ
Solidarité COLOMBIE - Traité d'«allié du terrorisme» par le chef de l'Etat, le journaliste TV a reçu des menaces de mort.
L'exil encore et toujours. Depuis une décennie qu'il braque sa caméra sur la guerre civile, Hollman Morris doit s'accommoder d'incessants allers et retours entre l'Europe et la Colombie. Une nouvelle fois menacé de mort en février dernier, le journaliste et producteur a dû suspendre son émission de télévision «Contravia» pour «se faire oublier» loin de son terrain d'investigation. La semaine dernière, Le Courrier l'a rencontré à Vitoria-Gasteiz, au Pays basque, lors d'un forum de médias alternatifs. Bien que fermement arrêté, le prochain retour de Hollman Morris en Colombie s'annonce périlleux. Traité par plusieurs membres du gouvernement «d'apologiste de la violence» et de «sympathisant des FARC», le reporter se sait dans le viseur des paramilitaires. Son crime? Avoir assisté, le 1er février dernier, à la libération de quatre détenus de la guérilla, trois soldats et un policier. Une présence inadmissible pour le président Alvaro Uribe qui déteste perdre le contrôle sur les images de la guerre. Témoin indésirable – titre du film que lui avait consacré Juan José Lozano – Hollman Morris l'est plus que jamais.
En principe, aucun journaliste ne devait être présent lors de la remise des prisonniers à la commission humanitaire, le 1er février dernier. Pourquoi être allé sur place?
Hollman Morris: Notre travail de journaliste, encore plus dans un pays en conflit armé, est de voir de nos propres yeux, de sentir les évènements et donc d'être sur les lieux où ils se déroulent. Or, le seul fait de me trouver là a conduit le gouvernement – et plus particulièrement le président Uribe – à me traiter d'allié du terrorisme!
Mais votre objectif journalistique n'était pas d'assister à la libération: vous prépariez un film sur les FARC.
C'est juste. A côté de reportages pour Radio France International, nous préparions depuis des mois un documentaire sur les FARC pour la chaîne History-Amérique latine (diffusion prévue le 18 mai, ndlr).
Avez-vous été instrumentalisé par la guérilla?
Les gens se demandent: comment Hollman Morris est-il arrivé sur place? Eh bien, selon moi, les journalistes doivent pouvoir aller auprès des bons comme des méchants. Investiguer sur un conflit comme celui-là implique de prendre des contacts auprès de chaque groupe-clé, qu'il soit légal ou pas. Avant la libération du 1er février, l'un de mes contacts m'a appelé pour m'annoncer qu'on me concédait une interview sollicitée plusieurs mois auparavant. Je me suis donc rendu dans un endroit déterminé du pays et, au fil de mes déplacements dans la jungle, je me suis retrouvé sur les lieux et à l'heure de la libération... Voilà ce que le président Uribe trouve suspect et qu'il nomme «complicité avec le terrorisme». Comment peut-il affirmer que je fais l'apologie du terrorisme, alors qu'au jour d'aujourd'hui, ces images n'ont même pas été publiées?
En quoi votre présence en ce lieu gêne-t-elle donc le pouvoir?
La stratégie de ce gouvernement est de nier l'existence d'un conflit armé. Or il fait face à un journaliste qui montre cette réalité, qui décrit cet acteur armé et ses revendications. Pour ce gouvernement, montrer la guerre, c'est montrer des cadavres. Moi, j'estime qu'il faut montrer toutes les faces du conflit. La paix est aussi une information: chaque avancée, tout début d'accord, doivent être racontés. Si l'on veut construire la paix, il faut rendre lisibles les points d'entente.
Quelle conséquence peut avoir d'être traité d'«allié du terrorisme»?
Cela dépend qui profère l'accusation et comment il le fait. Dans ce cas précis, l'accusateur est rien moins que le chef de l'Etat. Durant une conférence de presse où se pressait l'ensemble des médias, il m'a traité de terroriste. Accusation qu'il a répété au moins dix fois en une heure qu'a duré la conférence retransmise en direct à la TV! En Colombie, on sait ce qu'entraîne ce type de signalement: le lendemain, je recevais plusieurs menaces de morts par courrier électronique dirigées contre moi et mes employés. L'ensemble de notre projet informatif est aujourd'hui visé par ces secteurs intolérants sympathisants du gouvernement.
Comment avez-vous réagi?
J'ai décidé de sortir du pays. Cela n'est pas la première fois que je suis menacé. Et ce n'est pas la première fois que je suis calomnié par le président. Il faut être très clair: Hollman Morris a été l'objet d'une persécution systématique du président Uribe. La justice a confirmé que j'ai été soumis à des écoutes (lire ci-contre) et à des filatures illégales par les services de sécurité. Qui était derrière ça? Jusqu'où prévoyaient-ils d'aller? Tant que l'Etat n'apportera pas de réponses à ces questions, les conditions de mon travail en Colombie ne seront pas garanties. Le problème va au-delà de mon cas: chaque personne – politicien, défenseur des droits humains, journaliste – qui dénonce la corruption ou s'oppose à certaines mesures du gouvernement est immédiatement assimilée au terrorisme. La liberté d'expression n'est pas assurée.
Certains médias, pourtant, parviennent à faire leur travail. Par exemple, Semana a mis à jour les liens entre les paramilitaires et des politiciens proches du président.
Absolument. D'ailleurs son directeur Alejandro Santos et certains de ses reporters ont été menacés et figurent aussi parmi les personnes espionnées. Alejandro a aussi été critiqué publiquement par le président.
Votre émission «Contravia» est suspendue. Va-t-elle reprendre?
Oui. Et avec une bonne nouvelle, car nous allons recevoir un appui de l'Open Society Institute – soit la Fondation Soros. Ce dernier scandale a provoqué un forte réaction de la société civile, et cette fondation a pu apprécier l'importance de notre travail.
En Suisse, un projet de traité de libre-échange avec la Colombie fait débat. Quel message transmettriez-vous aux autorités suisses?
Que ce type de traités doivent être conditionnés au strict respect des droits humains. Tant que le gouvernement colombien violera ces droits, tant que les Colombiens ignoreront quels industriels ont financé le projet paramilitaire, il me paraît très difficile de passer des accords commerciaux avec la Colombie. Les industriels suisses doivent avoir la certitude que les partenaires colombiens avec qui ils pourraient travailler respectent les droits humains. Ils doivent être sûrs que ceux-ci n'ont pas financé ou toléré les activités de milices paramilitaires coupables de crimes contre l'humanité. I
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