Friday, 22 May 2009

Les méthodes d’Eveline Widmer-Schlumpf secouent l’Office des migrations

LeTemps.ch | Les méthodes d’Eveline Widmer-Schlumpf secouent l’Office des migrations
vendredi22 mai 2009

Par Valérie de Graffenried

Le directeur et le numéro deux de l’Office fédéral des migrations ont été invités à quitter le navire. Ces décisions créent des tensions à l’interne. Une pétition circule

Des têtes tombent à l’Office fédéral des migrations. Et cela, dans une opacité presque totale. Officiellement, le directeur de l’office, Eduard Gnesa, a «pris du galon»: il vient d’être nommé «ambassadeur extraordinaire chargé de la collaboration internationale en matière de migrations», un nouveau poste qu’il occupera dès le 1er septembre aux Affaires étrangères (DFAE). Mais les choses sont bien plus compliquées. Sous ce vernis doré, se cachent des fissures. Tentative de décryptage.

Mercredi de la semaine dernière, peu avant la diffusion du communiqué du Conseil fédéral qui annonçait la nomination d’Eduard Gnesa aux Affaires étrangères, Eveline Widmer-Schlumpf a informé les quelque 700 collaborateurs de l’ODM de changements internes. Eduard Gnesa est appelé à de nouvelles fonctions, leur a-t-elle fait savoir. Il sera remplacé ad interim par Jörg Gasser, actuellement conseiller spécialisé au Secrétariat général du Département fédéral de justice et police (DFJP). Mais pourquoi donc, si le chef part, n’est-il pas remplacé par le suppléant?, ont aussitôt demandé des collaborateurs, intrigués.

Audit commandé

Le suppléant en question, Urs Betschart, occupera lui aussi de nouvelles fonctions, a alors répondu la conseillère fédérale. Si le «départ» d’Eduard Gnesa était prévisible pour certains, en raison des clivages et des divergences d’opinion entre lui et la ministre concernant notamment l’orientation future de l’ODM, celui d’Urs Bet­schart, qui travaille depuis de très longues années dans le domaine, en a surpris plus d’un. Est-ce simplement parce qu’il est numéro deux? Eveline Widmer-Schlumpf a-t-elle voulu, en se débarrassant d’un chef compétent mais qui incarne trop l’«ère Blocher», étendre son coup de balai au suppléant pour mieux mener la réforme de l’office qu’elle entend amorcer?

La décision est d’autant plus surprenante que l’audit commandé par la ministre, et mené par l’ancien conseiller d’Etat zougois Hanspeter Uster, ne se serait pas penché sur la division «Entrée, séjour et retour» gérée par Urs Betschart. Seuls les domaines «procédures» et «naturalisations» auraient pour l’instant été scannés en détail. L’étude a notamment été commandée en réaction aux hausses importantes des demandes d’asile.

Selon nos informations, des tensions et inquiétudes sont palpables à l’interne. Une pétition circule même au sein de la division d’Urs Betschart. Elle demande notamment sa réintégration, chose qui paraît difficilement possible, Eveline Widmer-Schlumpf revenant rarement sur ses décisions.

Qui remplacera d’ailleurs le suppléant nommé à ce poste par la ministre il y a tout juste un an et qui pourrait être être rapatrié au Secrétariat général? Urs von Arb. Il dirige aujourd’hui la division «Rapatriements». Et là, nouvelle curiosité, relatée par la Weltwoche dans sa dernière édition: Urs von Arb n’aurait été mis au courant de ses nouvelles responsabilités qu’en même temps que les autres collaborateurs de l’ODM, soit le 13 mai!

Les perspectives de 2011…

Interrogés, de nombreux parlementaires s’offusquent des méthodes brusques d’Eveline Widmer-Schlumpf. Le départ d’Eduard Gnesa et son remplacement par quelqu’un de la garde rapprochée de la ministre est pour le moins précipité: il quitte ses fonctions de directeur d’office à la fin du mois déjà, alors qu’il ne travaillera au DFAE qu’à partir du 1er septembre. Dans l’intervalle, il restera «à disposition» de la ministre pour des «missions spéciales», précise très évasivement le DFJP.

«Fallait-il vraiment décapiter cet office important maintenant, alors que des sujets d’une actualité brûlante le concernent?», s’interroge un radical. La ministre, critiquée sur le front de l’asile, a apparemment besoin de sang neuf. Elle chercherait à obtenir plus de «résultats», via notamment une application plus vigoureuse des lois, ceci pour consolider ses chances d’être réélue en 2011. Elle a d’ailleurs récemment proposé de nouveaux durcissements des lois sur l’asile et sur les étrangers.

Eduard Gnesa, probablement trop mou à ses yeux et pas assez dans sa ligne, ne les aurait pas tous cautionnés. Le Haut-Valaisan n’aurait pas non plus soutenu la ministre dans sa volonté d’actionner la clause de sauvegarde pour limiter la venue de travailleurs de l’UE, proposition qui vient d’être balayée par le Conseil fédéral.

Le Temps a tenté de le joindre pour avoir sa version des faits. Mais Eduard Gnesa n’a pas souhaité s’exprimer. Son porte-parole, lui, ne pipe pas mot. Quant à la cheffe de l’information au DFJP, elle reste avare en commentaire, et souligne par exemple, très diplomatiquement, que la cheffe du département et Eduard Gnesa «discutent déjà depuis longtemps de l’orientation de la politique migratoire et notamment du besoin de renforcer la coopération internationale en la matière».

Des précédents

Le ménage, la ministre l’a aussi fait à peine entrée en fonction. Le secrétaire général qui travaillait déjà sous Christoph Blocher a très rapidement quitté le navire, «d’un commun accord» avec la conseillère fédérale. Et, pour la petite histoire, c’est Eduard Gnesa que la ministre avait alors appelé à la rescousse pour le remplacer ad interim, et pas un autre chef d’office. Elle s’est ensuite séparée de son porte-parole, Livio Zanolari, l’homme qui a travaillé pour six conseillers fédéraux. Puis de son conseiller personnel, Sébastien Leprat.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent: qui sera le prochain sur la liste de la nouvelle Dame de fer?


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